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Le Peuple Berbère, leurs Conquêtes et Invasions: Entre Mythes et Réalité

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l est courant de constater que certains individus, par ignorance ou par malveillance, tenteraient de dépeindre les Berbères, ou les Maghrébins en général, comme un peuple d'éternels vaincus, ce discours étant particulièrement répandu parmi certains groupes afrocentristes ou panarabistes. C'est une image qui fut façonnée et renforcée par diverses forces au fil du temps et qui continue malheureusement d'être perpétuée aujourd'hui.

La Propagande Coloniale

Il est essentiel de comprendre que ces schémas de propagande ont été utilisés pour légitimer la colonisation des pays du Maghreb au siècle dernier. Les colonialistes, voulant faire passer les Maghrébins pour un peuple constamment dominé afin de justifier leur colonisation, ont eu recours à cette image pour renforcer leur emprise et pour marginaliser et opprimer les peuples indigènes.

Les diverses invasions étrangères sur le sol du Maghreb et leurs contextes seront abordés ici. Ces invasions sont souvent sujettes à des mythes et sont utilisées à des fins néfastes par divers groupes encore aujourd'hui, rendant donc crucial leur démystification et le rétablissement des vérités les concernant. Ce n’est qu’en faisant ainsi que nous pouvons comprendre la véritable nature de ces invasions et leur impact sur la région tant démographiquement qu’en terme d’identité.

L'Antiquité

Nous commencerons par aborder l'Antiquité en listant les étrangers ou envahisseurs qui s’installèrent au Maghreb au fil du temps, leur influence et le contexte. C'est une période riche en événements et en changements qui ont grandement contribué à façonner le Maghreb tel que nous le connaissons aujourd'hui.

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Quelques notions de base

Avant de plonger plus profondément dans le sujet, il est important de comprendre quelques notions de base. Tout d'abord, le terme "Libyens" désigne les Berbères de l'Antiquité, comme le rappelle l'historien Samir Aounallah. De même, le terme "Berbérie" est souvent utilisé académiquement pour désigner la région de peuplement des Berbères, un territoire d'environ 7 millions de km².

Terme de base : Libyen
Le libyque : Langue des Libyens, appelés aussi Berbères ou Amazighs, le libyque, encore imparfaitement connu des spécialistes malgré les progrès accomplis depuis la découverte, notamment à Dougga, des fameuses inscriptions bilingues libyco-puniques, est une langue exclusivement consonantique et, de ce fait, se prête mal à une reconstitution intégrale et est imprononçable par des étrangers.

Terme de base : Berbérie
Le Maghreb, l'Afrique du Nord ou encore la Berbérie sont des appellations modernes dont les équivalents anciens étaient Libué, pays des Libou, la Libye des Grecs (à ne pas confondre avec la Libye actuelle), et l'Africa, pays des Afri, l'Afrique des Latins, mot qui semble dériver directement d'Africus, un vent « qui vomit des flammes (Corripe, Joh. 7.322) » et en quoi il faut voir notre sirocco/chehili.

L'Antiquité Tunisienne : Samir Aounallah, p.28, p.43

Il est également important de noter que, bien que la majorité des Berbères/Maghrébins vivent aujourd'hui vers le littoral du Maghreb, plus on remonte dans le temps, plus la population est répartie de façon un peu plus équilibrée.

Due à la superficie de leur vaste région et à divers facteurs ethniques, les Berbères étaient un peuple quasiment impossible à fédérer dans son ensemble.  Les Berbères vivaient en tribus éparpillées lorsqu'ils n'étaient pas fédérés par un état ou une chefferie.

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Les Phéniciens

Carte de l'influence phénicienne sur la Berbérie (en bleu).

Commençons par les Phéniciens, qui ont fondé divers comptoirs commerciaux sur le littoral de la Berbérie vers 800 AEC. Mais que sont-ils venus faire au Maghreb ? Martyriser et dominer la population ? Prendre aux Berbères leurs terres ? La réalité est qu'ils sont simplement venus fonder des comptoirs commerciaux chez les Berbères comme dans le reste de la Méditerranée.

Justin, un historien antique, affirme dans son livre XVIII que les Phéniciens étaient venus commercer avec les Berbères. Selon lui, à leur arrivée sur les côtes d'Afrique, les Phéniciens cherchaient l'amitié des habitants locaux qui accueillaient favorablement ces étrangers. Ils y voyaient une opportunité de développer un commerce mutuel et lucratif. Justin décrit comment les Berbères, attirés par la perspective de gains, affluaient en masse des régions avoisinantes pour vendre leurs produits aux nouveaux arrivants. Ils s'installaient parmi les Phéniciens, et leur nombre grandissant transforma rapidement la colonie en une véritable ville.

Justin rapporte également que les représentants d'Utique, considérant les Phéniciens comme des frères, leur offrirent des cadeaux et les encouragèrent à fonder une cité dans le territoire qui leur avait été attribué comme refuge. Les habitants africains souhaitaient également retenir ces étrangers parmi eux. Ainsi, avec le consentement de tous, Carthage fut fondée, et un tribut annuel était payé pour le territoire qu'elle occupait. La renommée de Carthage attira bientôt de nombreux habitants qui vinrent y peupler et l'agrandir.

Ceci est confirmé par quasiment tous les historiens modernes, dont Samir Aounallah dans son ouvrage "L'Antiquité Tunisienne" (p.64). Aounallah affirme que les Phéniciens commerçaient avec les Berbères et se sont mélangés à eux. Selon lui, lorsque les Phéniciens ont commencé à s'installer le long des côtes tunisiennes, en commençant sans doute par Utique, le pays était occupé exclusivement de Libyens.

Comme on devait s'y attendre, les deux populations se mélangèrent très rapidement et ce mélange fut à l'origine de ceux que les anciens appelaient Libyphéniciens, un mélange de Libyens et de Phéniciens issus des mariages mixtes entre les membres des deux populations et des alliances matrimoniales entre chefs libyens et membres de l'aristocratie carthaginoise; la plus symbolique de ces alliances est sans doute le couple formé par le roi numide Syphax et Sophonisbe la carthaginoise dont on connaît la fin tragique. Le reste de la Tunisie, nous en parlerons plus loin, était occupé par les Numides, une faction du peuple libyen.

Pour parler en chiffres, les Phéniciens représentaient environ 3% de la population du Maghreb, comme le mentionne l'Atlas of World Population History (p.219-220). À l'époque de la chute de Carthage, on estimait qu'il y avait peut-être 100 000 Phéniciens et 500 000 Berbères en Tunisie, ainsi que 2 500 000 Berbères dans le reste de l'Afrique du Nord.

Divers comptoirs phéniciens étaient en fait installés dans des oppidums berbères comme on le voit sur la carte ci-dessous:

Les Puniques

Carte du domaine carthaginois en Berbérie, à la veille des guerres puniques (en bleu).

Afin d'en savoir un peu plus sur les Phéniciens et le destin qu'ils auront au Maghreb, abordons le cas des Puniques (ou Carthaginois).

Durant l'époque de Carthage, divers royaumes berbères sortiront de l'ombre. Comme la Maurétanie ou encore la Numidie. Ces royaumes autochtones seront indépendants et s'inspireront parfois de divers éléments puniques.

Selon Strabon dans son livre XVII, on peut dire que les Maurusii, les Masaesylii, leurs voisins les plus proches, et tous les peuples compris sous la dénomination commune de Libyens, avaient les mêmes armes, le même équipement, et en général toutes les mêmes habitudes.

Les Phéniciens se mélangèrent donc aux Berbères en s'installant au Maghreb, donnant ainsi naissance à Carthage. Et comme vu plus haut, Carthage était subordonnée aux royaumes Berbères.

Justin rapporte que Carthage demeura longtemps subordonnée aux rois libyens. Selon lui, au-delà des limites de la ville proprement dite, le territoire appartenait aux Libyens, et depuis sa fondation, Carthage payait un tribut annuel pour le loyer du sol qu'elle occupait. Cette information est également confirmée par les historiens modernes, comme Samir Aounallah dans son ouvrage "L'Antiquité Tunisienne" (p.66).

Il est vrai que les Phéniciens, notamment les Carthaginois ou Puniques, n'agissaient pas dans un rapport de dominants tyranniques sur les Berbères, contrairement à certaines idées mythiques. Comme l'affirme Titus Livius, Carthage ne disposait pas d'une armée nationale, mais comptait principalement sur des mercenaires africains et numides. Dans son livre XXVIII, il souligne que le caractère inconstant de ces mercenaires africains et numides était toujours prêt à trahir, ce qui démontre l'absence de domination absolue des Carthaginois sur les Berbères.

Livius mentionne également que les Carthaginois comptaient souvent plus de morts dans des raids berbères que dans une guerre régulière. Les Berbères, notamment les Massyles, menaient des incursions ouvertes et dévastaient les terres environnantes, en ciblant principalement les terres plus riches des Carthaginois. Ils vendaient ensuite leur butin aux marchands qui se rendaient sur la côte. Livius relate comment ces attaques surprises causaient de nombreuses pertes en vies humaines et de prisonniers pour les Carthaginois, qui se plaignaient de ces incidents aux rois berbères, notamment à Syphax.

Syphax était lui-même irrité par ces actes de brigandage, mais il considérait qu'il était indigne d'un roi de poursuivre des bandits errants dans les montagnes, comme le mentionne Livius dans son livre XXIX. Ces citations de Titus Livius illustrent le contexte complexe des relations entre les Carthaginois et les Berbères, réfutant ainsi l'idée d'une domination absolue des Carthaginois sur les Berbères.

Diverses alliances et mariages avaient lieu entre Berbères et Carthaginois, on notera par exemple le mariage entre Syphax, roi berbère, et Sophonisbe, femme carthaginoise, souvent considéré comme très symbolique.

Concernant les preuves génétiques, diverses études vont dans le sens des historiens, chose évidente.

Carte montrant les populations des individus de l'âge du fer de la Méditerranée centrale dans différents clusters qpWave, organisés par site. Les étiquettes et les flèches régionales indiquent des sources probables d'ascendance (les flèches ne sont pas destinées à indiquer des itinéraires spécifiques). Les couleurs indiquent les grappes d'ascendance identifiées par qpWave.
La formation génétique des Carthaginois. Illustration de Mohamed Abdulhady pour Moots et al. 2022, Une Histoire Génétique De La Continuité Et De La Mobilité Dans Le Centre Méditerranéen De L'âge Du Fer.

Les Puniques étaient un mélange entre Berbères et Phéniciens, et parfois un mélange entre Berbères et Siciliens/Grecs. Malgré que la population phénicienne fût faible, son influence en revanche sera très grande. Carthage fût l'œuvre des Phéniciens et des Berbères.

Les Grecs

Carte du domaine grec en Berbérie (en bleu).

Les Grecs en Berbérie occupaient une petite partie de la Cyrénaïque, donc leur influence sera assez limitée. Les Grecs semblent s'être installés en Cyrénaïque vers 630 AEC.

La fondation de Cyrène, en Cyrénaïque, est attribuée à une colonie originaire de Théra, une île grecque qui considérait Lacédémone comme sa métropole et qui était à l'origine connue sous le nom de Calliste. Selon Strabon dans son livre XVII, Cyrène doit son origine à cette colonie.

La motivation derrière cet établissement en Cyrénaïque était une période de sécheresse, probablement dans la région d'origine, qui a incité les habitants de Théra à chercher de nouveaux territoires où s'installer.

Localisation de Théra.

Autant dire que l'impact démographique des Grecs était assez faible, les Grecs de Cyrénaïque vont devenir indépendants et iront jusqu’à former leur propre "état".

Cette fois-ci, aucun indice ne semble montrer d'accord commun entre Grecs et Berbères. Cela dit, les Berbères n'étaient ni chassés de leur littoral ni étouffés dans l'arrière-pays, tant avec l'arrivée des Grecs que celle des Romains ou des Phéniciens.

Il est important de rappeler, comme le souligne Diodore de Sicile dans son livre III, que la Cyrénaïque était également peuplée de Berbères. Diodore mentionne qu'à côté des récits précédents, il est opportun d'évoquer les Libyens qui habitent près de l'Égypte et d'explorer les régions avoisinantes. La Cyrénaïque, les Syrtes et les régions intérieures adjacentes sont habitées par quatre races de Libyens.

Au sud se trouvent les Nasamons, à l'ouest les Auchises, les Marmarides occupent la bande de terre entre l'Égypte et la Cyrénaïque qui borde la mer, et enfin les Maces, qui sont les plus nombreux, résident près des Syrtes.

En réalité, comme le précise Hérodote dans son livre IV, le littoral de Cyrène était la seule zone non investie par les Berbères. Les côtes maritimes étaient occupées par les Cyrénéens, tandis que les Berbères se retrouvaient jusqu'aux côtes maritimes de Barcé, également située en Cyrénaïque.

Hérodote détaille l'ordre dans lequel se trouvent les peuples de la Libye. Immédiatement après les Giligammes, on trouve les Asbystes du côté de l'ouest, habitant le pays au-dessus de Cyrène, mais ne s'étendant pas jusqu'à la mer. Les côtes maritimes sont occupées par les Cyrénéens. Les Auschises se situent à l'ouest des Asbystes et confinent avec eux. Ils habitent au-dessus de Barcé et s'étendent jusqu'à la mer, près des Evespérides. Les Cabales, une nation peu nombreuse, se trouvent au milieu du territoire des Auschises, s'étendant le long des côtes de la mer vers Tauchires, une ville du territoire de Barcé, comme l'explique Hérodote.

De plus, Hérodote mentionne que les Garamantes habitent au-dessus des Nasamons, tandis que les Maces se trouvent à l'ouest, le long de la mer. Les Lotophages occupent le rivage de la mer, qui se situe devant le pays des Gindanes. Les Lotophages confinent aux Machlyes le long de la mer, et ces derniers s'étendent jusqu'au Triton, un fleuve important qui se jette dans un grand lac appelé Tritonis, où l'île de Phia est visible. Ainsi, les peuples nomades qui habitent les côtes maritimes de la Libye sont décrits par Hérodote.

Quoiqu'il en soit, cette influence grecque restait limitée à la Cyrénaïque avant de commencer à disparaître vers le début du Moyen-Âge.

Les Romains

Carte de l'Empire Romain à son apogée en Berbérie (en bleu).

L’arrivée des des Romains en Berbérie est sans doute l'une des ères les plus controversées en ce qui concerne le Maghreb. Commençons par clarifier qu'il est faux de dire que les Romains ont envahi toute la Berbérie ou tout le Maghreb, étant donné qu'ils ne possédaient que les parties septentrionales. Durant l'Antiquité, cette nuance est très importante comme nous le verrons plus tard.

Étant donné qu’il serait beaucoup trop long et fastidieux de décrire tout les évènements de l'ère romaine au Maghreb, nous résumerons l’essentiel à retenir.

Les Romains commenceront d'abord par annexer Carthage, aidés par Massinissa. Ils annexeront ensuite une partie de la Numidie, aidés par Bocchus. La Maurétanie deviendra dans un premier temps un état-client qui, à son tour, sera annexé également par Rome. Tous ces anciens états, tant berbères que puniques, finiront dans la toile de Rome.

En ce qui concerne la population locale et un éventuel remplacement de population, Pline l'Ancien aborde la question dans ses écrits. Dans son livre V de l'Histoire Naturelle, il insiste sur le caractère autochtone et indigène de la Libye (comprendre la Berbérie/Maghreb). Il mentionne que les noms des peuples et des villes de la région sont souvent difficiles à prononcer pour les étrangers et que les habitants indigènes ne vivent généralement que dans des châteaux.

Pline explique également, dans un autre paragraphe, que la province romaine de Tingitane, annexée par Rome, est principalement occupée par des "nations gétuliennes" (donc des Berbères). Il indique que les Maures, qui donnaient leur nom à la Maurétanie, étaient la principale nation tingitane, mais que des guerres désastreuses ont réduit leur nombre à quelques familles. De plus, la nation des Massasyles, qui se trouvait également dans cette région, est également éteinte. Ainsi, le territoire est maintenant occupé par les nations gétuliennes, notamment les Baniures, les Autololes et les Vésuniens, qui se sont séparés des derniers pour former leur propre nation, à côté des Éthiopiens.

Dans un autre extrait, Pline mentionne divers peuples berbères habitant une zone s'étendant de l'Égypte occidentale jusqu'au golfe de Syrte. Ces zones de peuplement berbères semblent ne pas avoir été perturbées malgré l'influence de Rome dans le reste de la Berbérie.

En somme, selon Pline l'Ancien, les peuples berbères occupaient toujours les régions de la Berbérie, bien que certaines guerres aient entraîné une diminution de la population, notamment chez les Maures et les Massasyles.

Le littoral du Maghreb est toujours bien peuplé de Berbères, même dans les zones romaines. Les historiens contemporains de cette époque ne parlent à aucun moment d'un prétendu remplacement de population par des Romains d'Italie ou autres.

Le Rapport de Rome avec les Berbères

On aura des révoltes berbères contre l'influence romaine tout comme une participation berbère à l'influence romaine. Des Berbères accèderont à de hauts postes, certains deviendront également empereurs, comme Macrin.

Pour en revenir au peuplement du Maghreb sous l'Empire, il est également affirmé par les spécialistes et historiens modernes, comme Eugène Albertini dans son ouvrage "L'Afrique Romaine", que les Italiens/Européens ont eu une influence démographique très limitée au Maghreb, et que les unions entre Berbères et non-Berbères étaient extrêmement rares.

Selon Albertini, si nous cherchons à déterminer l'importance numérique du contingent des immigrés romains ou italiens en Afrique, nous avons tout lieu d'admettre qu'il a été faible. Même en incluant les immigrés non-italiens, leur impact démographique reste minime. Les immigrés comprenaient des hauts fonctionnaires, mais le personnel subalterne des bureaux était généralement recruté sur place. Certains grands propriétaires fonciers résidaient à Rome et étaient représentés en Afrique par des intendants et des fermiers, dont beaucoup étaient d'origine locale. Quelques commerçants italiens, orientaux ou espagnols étaient présents dans les villes côtières et quelques grandes localités de l'intérieur, telles que Cirta. Cependant, ces apports n'ont pas modifié de manière significative le caractère berbère de la population locale.

Albertini souligne que l'énorme prépondérance numérique de l'élément berbère dans la région oblige à lui laisser une large place dans tous les domaines. Les Berbères avaient été romanisés de l'extérieur, mais ils sont demeurés Berbères et ont maintenu des unions très rares avec des non-Berbères. Ainsi, la population berbère conservait son caractère distinct et dominait numériquement (Albertini, L'Afrique Romaine, p.21, p.69).

Génétiquement parlant, nous pouvons affirmer sans polémiquer que le Levant eût plus d'influence romaine que le Maghreb, ceci étant parfaitement compréhensible tenant compte du fait que par exemple pour une légion romaine au Maghreb, on en comptait au moins 4 au Levant.

Les Vandales

Carte de l'influence vandale en Berbérie (en bleu).

Les Vandales, une tribu germanique souvent faussement associée à l'origine des cheveux blonds et des yeux bleus au Maghreb, ont également joué un rôle dans l'histoire de la région. Vers l'an 435 de notre ère, après avoir envahi l'Ibérie, ils se dirigent vers le Maghreb, avec une certaine "complicité" de Rome qui subissait à cette époque des invasions barbares, comme le relate Procope de Césarée dans son livre III.

Selon Procope, suite à un traité, les Vandales franchissent le détroit de Cadix et pénètrent en Afrique. Les Visigoths, quant à eux, s'établissent en Espagne. Gensérie, le chef des Vandales, organise ensuite ses troupes en cohortes et crée quatre-vingts chefs appelés chiliarques, afin de donner l'impression qu'il dispose de quatre-vingt mille combattants présents sous les drapeaux.

Leur nombre variait entre 20 000 et 80 000 individus, une quantité négligeable par rapport à la population berbère de plus de 3 millions d'habitants à cette époque, comme le souligne Walter A. Goffart.

Selon Goffart, le fait que Geiseric ait conduit 80 000 Vandales et peuples associés d'Espagne en Afrique en 429 est considéré comme la seule information certaine que nous ayons sur la taille des groupes barbares lors des invasions. Cette certitude est basée sur le fait qu'elle est attestée par des informateurs apparemment indépendants, l'un latin et l'autre grec.

Au début, les Vandales et les Berbères conclurent une sorte paix qui ne tardera pas à voler en éclats. Selon Procope, la paix entre les Vandales et les Berbères fut rompue pour la première fois vers la fin du règne d'Hunéric, en 484, lorsque les Maures de l'Aurès se soulevèrent et ne reconnurent plus l'autorité des Vandales. C'est pendant cette période de rupture que le célèbre "Sac de Rome" eut lieu, mené par les Vandales et les Berbères.

Les révoltes se multiplièrent par la suite, mais malheureusement, elles n'ont pas retenu beaucoup l'attention de notre auteur, comme le souligne Yves Modéran dans son ouvrage "Les Maures et l'Afrique Romaine".

Peu de temps après la fin de cette paix, selon Jean-Pierre Laporte dans son ouvrage "Les Vandales, l'Afrique et les Maures", les Vandales furent menacés par les Berbères des steppes, qui les harcelaient dans l'arrière-pays.

Vers la fin du règne d'Hunéric (477-484), les Vandales abandonnèrent aux Maures des steppes les monastères du sud et de l'ouest de la Byzacène. Sous le règne de Gunthamund (484-496), ces Maures menacèrent à nouveau le territoire vandale, en particulier le sud-ouest de la Byzacène, qui était la province la plus urbanisée et la plus riche des trois.

Les agresseurs n'étaient pas des nomades de Tripolitaine, mais des semi-nomades des steppes du Sud de l'actuelle Tunisie, possédant des dromadaires, qui s'avançaient vers une région où se trouvaient autrefois des cités romaines établies autour des principaux points d'eau. Les Maures de Césarienne remportèrent de nombreuses victoires sur les Vandales et occupèrent le pays appelé Maurétanie, s'étendant de Gadeira jusqu'aux frontières de Césarée. Par la suite, les Vandales ne contrôlaient plus qu'un chapelet de villes côtières comme Tipasa.

L'intérieur de la Maurétanie Césarienne avait été abandonné après 455, à la fois par les Vandales et par l'Empire romain. Des principautés berbéro-romaines émergèrent alors dans cette région, se tenant à l'écart de l'histoire écrite, comme le souligne Laporte.

Les Vandales ne contrôlaient qu'un chapelet de villes côtières et étaient réduits à se cantonner au littoral. Lorsqu'ils s'aventuraient trop loin de leurs possessions, ils subissaient des défaites cuisantes face aux Berbères, y compris les nomades, comme le rapporte Procope de Césarée dans son livre III.

Procope relate un événement où les Vandales furent mis en déroute par les Maures. Les Vandales prirent la fuite, et les Maures, sortant de leur retranchement, en tuèrent un grand nombre et firent beaucoup de prisonniers. De cette nombreuse armée vandale, seul un petit nombre de soldats parvint à retourner dans leur pays. C'est ainsi que les Maures défirent les Vandales sous le règne de Trasamond, qui mourut après avoir occupé le trône pendant vingt-sept ans.

Lorsque les citadins Romano-Berbères se soulevaient contre les Vandales, les Byzantins décidaient d'agir, comme le rapporte Jean-Pierre Laporte dans son ouvrage "Les Vandales, l'Afrique et les Maures".

Peu avant la fin du royaume vandale, d'autres Maures, tels que Leouata et Austuriani, représentaient une menace pour les territoires romanisés. Ces groupes nomadisaient au sud de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. Ils n'étaient pas exclusivement des nomades chameliers, mais plutôt des pasteurs transhumants qui cherchaient à se rapprocher des plateaux bien arrosés près de la côte, voire à contrôler les villes côtières. En Tripolitaine, leur chef Cabaon brisa une armée vandale, et en 533, la province se souleva contre les Vandales sous l'initiative d'un certain Pudentios.

Face à cette situation, Bélisaire, général byzantin, dut envoyer rapidement des renforts en Tripolitaine, car les Romains étaient pressés par les Maures. Les Byzantins débarquèrent le 30 août 533 à Caput Vada et prirent Carthage le 13 septembre. Les troupes de Gélimer, le roi vandale, furent finalement vaincues à Tricamarum le 15 décembre 533. Gélimer se rendit en début de l'année 534. Les Vandales se dispersèrent, certains fuyant vers l'Espagne wisigothe, d'autres se réfugiant en Maurétanie, tandis que les derniers furent capturés et exilés en Orient.

Les Byzantins n'ont rappliqué au Maghreb que lorsque les Vandales étaient à l’agonie. Les Vandales ont finalement été vaincus et ont fui en Ibérie, en Maurétanie, et les derniers ont été capturés et exilés en Orient.

Les Byzantins

Carte du domaine byzantin en Berbérie (en bleu).

Après avoir porté le coup de grâce aux Vandales, les Byzantins ont repris leur place. Cependant, cette époque a été relativement courte et la présence byzantine au Maghreb a été limitée et très fragilisée. Les Byzantins, venus lorsque les Vandales s'écroulaient face aux Berbères, avaient une influence limitée et le Maghreb était livré à lui-même à cette période.

Ainsi, soustraite par les Vandales, en 430, à la puissance de Rome, l'Afrique du Nord est restée, à partir de cette date, livrée à elle-même, et n'a connu que sur des territoires limités l'influence effective des Vandales et des Byzantins. La date de 430, pour l'Afrique, marque donc, en même temps que la fin de la période romaine, la fin de la romanisation.
Matériellement, c'est à partir de cette date que beaucoup de villes romaines ont été attaquées par les tribus restées nomades et pillardes, dévastées, dépeuplées; moralement, dans les mêmes années, tout ce qu'avaient apporté les Romains, institutions, mœurs, langue, commence à disparaître.

LAfrique Romaine : Eugène Albertini, p.68

Ils ont d'abord formé une alliance avec les Berbères, puis se sont affrontés, et diverses révoltes ont eu lieu.

Les Byzantins, qui n'avaient pas le moins du monde envisagé le risque maure, restèrent en tête-à-tête avec les Maures, avec lesquels ils eurent à peu près les mêmes soucis, mais cette fois sans période d'état de grâce.

Les Vandales, l'Afrique et les Maures : Jean-Pierre Laporte

Suite à diverses intrigues et désaccords entre Berbères dans leur lutte contre les Byzantins, certains ont rejoint le camp byzantin. L'armée byzantine était sans doute à plus de 75% Berbère selon Yves Modéran. L’auteur rajoute que diverses réformes byzantines, au départ révoltantes, ont finalement été adoptées au profit des Berbères pour les inciter à rejoindre les rangs de l’empire.

[…] Son véritable génie réside donc dans sa capacité à détacher de nombreuses tribus de l'insurrection et à les faire participer au combat derrière ses étendards. À côté du témoignage lyrique de Corippe, le bref résumé de Jordanès sur la guerre de 548 est à cet égard particulièrement révélateur, puisque, sans dire un mot de l'armée byzantine, il affirme simplement que Jean vainquit les Maures ennemis par le recours aux Maures pacifiés... (Romana, 385).
Sans suivre Corippe, qui attribue à l'ensemble de ces contingents alliés plus de 130 000 hommes, on peut estimer à coup sûr que l'armée « byzantine » de Jean en 548 était à plus de 60 %, voire à plus de 75 %, une armée berbère."

Or, obtenir de tels ralliements, qui avaient largement fait défaut à Solomon en 534-535 et en 544, n'était, dans le contexte de cette époque, après les défaites catastrophiques de 544 et 545, nullement chose aisée, et il faut reconnaître de ce fait, derrière l'habileté diplomatique de Jean, un véritable changement de la politique berbère de Byzance, dont il fut l'artisan.
Revenant sur les projets radicaux qu'exprimait la loi militaire de 534 et que Solomon avait cherché à mettre en application jusqu'à sa mort (l'expulsion des Maures de toutes les provinces, qui seraient ramenées à leurs frontières du IVe siècle), Jean dut faire des concessions et reconnaître le droit des tribus de l'intérieur de la Byzacène et de la Numidie à occuper des territoires provinciaux, avec leurs propres chefs, sous la suzeraineté impériale. L'évolution du statut de Cusina durant sa longue carrière, de 533 à 563, est le meilleur exemple de ce changement : expulsé en 535, ce chef devint au temps de Jean le fidèle Cusina, magister militum puis exarque des Maures, placé à la tête de trente tribus de Numidie.

Yves Modéran : Jean Troglita

Pour le reste, divers royaumes berbères à l'est de Carthage se sont formés et sont restés indépendants, probablement jusqu'à l'arrivée des Omeyyades.

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Le Moyen-Âge

Abordons maintenant une ère historique marquante du Maghreb : le Moyen-Âge. Les événements de cette époque ont eu des répercussions durables sur le présent et suscitent encore aujourd'hui de vives discussions. Dans ce contexte, notre objectif est d'examiner, de manière concise et objective, les différentes invasions et conquêtes ayant eu lieu au Maghreb et d'évaluer leur impact sur le peuplement et l'évolution de la région.

Les Rachidounes : conquête islamique du Maghreb

Carte de l'influence des Rashidounes en Berbérie (en bleu).

L'événement qui a sans doute le plus façonné le destin du Maghreb est la conquête islamique de la région. Celle-ci a été menée par les Rachidounes, la première dynastie califale de l'Islam, et a suivi la conquête islamique de l'Égypte.

Cette conquête a lieu en l'an 27 de l'Hégire (647 EC) et marque un tournant pour le Maghreb. En effet, c'est à partir de cette période que les tribus berbères ont commencé à se convertir à l'Islam.

L'opposition et les arrangements

Il est intéressant de noter que l'omniprésent Omar Ibn al-Khattab s'opposait à cette conquête pour des raisons qui ne sont pas toujours clairement définies par les auteurs médiévaux. Cependant, la conquête a eu lieu car la majorité des compagnons y étaient favorables.

Le khalife Othman, ayant conçu le projet de subjuguer ce pays, consulta les compagnons de Muhammad, qui furent d'avis qu'il fallait y envoyer une armée, un seul d'entre eux, Abou 'I-Aawer Saïd ibn Yézid. en exprima sa désapprobation et répondit à Othman, qui lui demandait la raison de son dissentiment, qu'il avait entendu le khalife Omar ibn el-Khattab dire ces paroles :
« Aucun musulman n'y fera une expédition tant que je vivrai. »
Et qu'il ne lui conseillerait jamais une démarche qui serait en opposition avec la déclaration d'Omar. L'affaire en resta là pendant quelque temps, mais Othman fit alors venir Zeid ibn Thabit et Mohammed ibn Moslema pour leur demander leur avis, et comme ils lui conseillèrent d'y envoyer une armée, il appela les musulmans à la guerre sainte.

Othman fournit à ses frais mille chameaux pour servir de montures aux musulmans pauvres; il donna aussi des chevaux pour le même objet, ensuite il distribua des armes aux soldats, et il leur accorda une gratification : ceci se passait au mois de moharrem de l'année 27 de l'hégire (octobre 647 de J. C). Othman monta alors en chaire et exhorta les troupes à combattre pour la cause de Dieu, il leur dit ensuite : J'ai mis à votre tête El-Harith ibn el- Hakem qui vous conduira auprès d'Abd Allah ibn Saad, lequel prendra alors
le commandement, et maintenant je vous recommande à la garde de Dieu !
L'armée, étant arrivée en Égypte, fut renforcée par un corps considérable qu'Abd Allah ibn Saad avait rassemblé, et le nombre des combattants se trouva ainsi porté à vingt mille. Ibn Saad nomma alors Okba ibn Nafi son lieutenant en Egypte, et se mit en route lui-même avec les troupes.

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

Un exemple de ces arrangements est la nomination d'Ouzemar, un Berbère chef des Maghraouas, en tant que gouverneur de son peuple par le Calife Othman.

Au nombre de ceux-ci se trouva Ouezmar-Ibn-Saclab. l'ancêtre de la famille Khazer, et qui était alors chef des Maghraoua et des autres peuples zenatiens. Le khalife Othman-Ibn-Affan, à qui on l'envoya, reçut sa profession d'islamisme et le traita avec une grande bienveillance. Il lui accorda non-seulement la liberté, mais aussi le commandement en chef des Maghraoua. D'autres historiens rapportent que Ouezmar se rendit auprès d'Othman en qualité d'ambassadeur. Les musulmans prodiguèrent aux chefs berbères des honneurs tels qu'ils n'accordaient ni aux Franes, ni aux autres nations.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

L'histoire nous rappelle également Ikrima al-Barbari, un Berbère considéré comme l'un des principaux Tabi'in et jurisconsulte de La Mecque. Ces faits illustrent la nature dynamique des relations entre les Berbères et les Arabes à cette époque.

Abû Abd Allah Ikrima Ibn Abdallah, un mawla d Abd
Allah Ibn Abas, tire son origine des Berbères du Maghreb. Il était l'un des principaux tâbis et jurisconsulte de La Mecque, (mais) il se déplaçait constamment d'une ville à l'autre […]
Ikrima mourut en 107 (725-6 EC).

Ibn Khallikân (Kitab Wafavat Ala'van : Volume II)

Le contexte géopolitique

Durant cette période, le Maghreb est divisé entre possessions byzantines et royaumes berbères. Les Rachidounes vont surtout se préoccuper des possessions byzantines. Après un temps de paix relative, la Grande Fitna apparaît, freinant temporairement l'évolution de la situation.

Conséquences et transition vers l'ère des Omeyyades

C'est donc à partir de cette période, marquée par les Rachidounes, que des Berbères du Maghreb commencent à se convertir à l'Islam. La période des Omeyyades succède à celle des Rachidounes, marquant une nouvelle ère pour le Maghreb.

De là ils envoyèrent à Ibn Saad pour lui offrir trois cents kintars d'or, à condition qu'il ferait cesser les hostilités et qu'il évacuerait le pays; après avoir fait quelques difficultés, il accéda à cette proposition. Suivant un autre récit, il leur accorda la paix moyennant une somme de deux millions cinq cent mille dinars qu'on lui compta, et une des conditions du traité portait que les musulmans garderaient tout le butin qu'ils avaient fait pendant la guerre, mais qu'ils rendraient ce qu'ils avaient enlevé depuis le commencement des pourparlers.
[…] Ensuite eurent lieu l'assassinat d'Othman et les contestations entre Ali et Moawia. Quand l'autorité de ce dernier fut solidement établie, il confia le gouvernement de la province d'Afrique à Moawia ibn Khodeidj.

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

L'ère des Omeyyades : extension, conflits et révolte

Carte de l'influence des Omeyyades en Berbérie (en bleu).

L'expansion vers l'Ouest

La dynastie des Omeyyades a succédé aux Rachidounes dans la conquête du Maghreb. Ils ont continué leur expansion vers l'Ouest, mettant environ un demi-siècle pour conquérir le reste du Maghreb.

Dès le début de leur règne, les Omeyyades, avec Oqba Ibn Nafi à leur tête, s'appuyaient en partie sur les Berbères convertis pour poursuivre la conquête du Maghreb. Cette stratégie témoigne à la fois de l'importance des Berbères dans la conquête et de leur prépondérance déjà à l'époque des Rachidounes.

En l'an 50 (670 EC), Moawia ibn Abi Sofyan envoya en Afrique Okba ibn Nafi de la tribu de Fihr, lequel était resté Barka et Zewila pendant qu'Amr ibn el-Aasi était gouverneur (de l'Égypte). Okba rassembla alors les Berbères prosélytes, et les incorpora dans l'armée que Moavia venait de lui envoyer, et dans laquelle se trouvaient dix mille cavaliers musulmans. Il marcha aussitôt contre l'Afrique, et, y ayant pénétré, il passa tout au fil de l’épée et extermina les chrétiens qui y restaient."

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

Les conflits internes

Les premiers conflits entre les Omeyyades et les Berbères ont éclaté avec un différend entre Oqba et le Berbère Koceïla.

Koseila était l'un des hommes principaux parmi les Berbères. Devenu musulman pendant le gouvernement d'Abou'l-Mohadjir, il fut si sincère dans sa conversion, que celui-ci en parla à Okba qui venait d'arriver, et l'instruisit de la grande influence et autorité que Koseila exerçait sur les Berbères. Okba ne fit aucune attention à cette recommandation; au contraire, il ne témoigna pour Koseila que de l'indifférence et du
mépris.

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

Cela a atteint un point de non-retour lorsqu'une offense d'Oqba a poussé Koceïla à fuir et à finalement tuer Oqba. Les Omeyyades, en revanche, ont réagi en tuant Koceïla.

Après la mort de Koceïla, les Omeyyades ont affronté une devineresse nommée Dihya en Ifriqiya. Les Berbères qui étaient dans le camp de Koceïla passèrent sous le camp de Dihya (ou la Kahina) à la mort de celui-ci. Cependant, après une longue bataille, Dihya sera tuée à son tour.

Ayant rejoint la Kahina, Hassan lui livra bataille, on se battit avec acharnement, et le carnage fut si grand que tous s attendaient à être exterminés, mais Dieu vint au secours des musulmans, et les Berbères
furent mis en déroute, après avoir éprouvé des pertes énormes. La Kahina fut atteinte et tuée pendant qu'elle s'enfuyait. Les Berbères demandèrent grâce à Hassan, et obtinrent leur pardon à la condition de fournir aux musulmans un corps auxiliaire de douze mille hommes, qui furent aussitôt mis, par Hassan, sous les ordres des deux fils de la Kahina. Dès cette époque, l'islam se propagea parmi les Berbères, et la guerre étant ainsi terminée, Hassan revint à Kairewan, après avoir rétabli heureusement les affaires de la province.

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

L'intégration des Berbères

Suite à la mort de Dihya, 12000 Berbères rejoindront les troupes Omeyyades dirigées par ses deux fils. Ce chiffre est significatif car il dépasse le nombre de troupes envoyées d'Orient à Oqba au début de la conquête. C’est après cette bataille que les Omeyyades atteindront Tanger et entameront ainsi la conquête de l'Andalousie.

Les hauts et les bas du règne omeyyade

Le règne des Omeyyades a été marqué par des périodes de stabilité et de progrès, mais aussi par des tensions et des conflits. Bien que la situation se verra s’améliorer au Maghreb sous le règne d'Omar II, ses efforts pour renforcer la cohésion de l'Empire Omeyyade seront en vain par conséquence de son éventuel assassinat.

Quand Omar ibn Abd el-Aziz devint khalife, il nomma Ismail administrateur de la province d'Afrique. Ce fut un excellent gouverneur, il fit un appel aux Berbères qui n'avaient pas encore embrassé l'islam, et ils se convertirent, de sorte que cette religion prévalut dans tout le Maghreb. Il gouvernait encore l'Afrique en l'an 101 (720 EC), époque à laquelle il fut destitué par Yézid ibn Abd el-Melik, successeur d'Omar ibn Abd el-Aziz. Il fut remplacé par Yézid ibn Abi Moslim.

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

C’est son successeur qui finira par déclencher la Grande Révolte Berbère en mettant en place des gouverneurs tyranniques et antiberbères, provoquant la colère des sujets Berbères de l’empire.

Parmi les premières tensions qui mèneront à la Grande Révolte Berbère, on peut citer celle entre les Berbères d'Ifriqiya et ce nouveau gouverneur, Yazid, mis en place.

Yezid arriva en Ifriqiya en l'an 102 (720-721 de J.-C). Il voulait imiter en ce pays la conduite qu'El-Haddjadj avait tenue envers les musulmans du Souad (la Babylonie) qui descendaient d'ancêtres tributaires : El-Haddjadi l'envoyait dans leurs villages pour les obliger à payer la capitation comme ils le faisaient avant leur conversion à l'islamisme. Yezid avait pris la résolution de suivre le même système dans l'Ifrigiva, mais les habitants, d'un commun accord, lui ôtèrent la vie et se mirent de nouveau sous les ordres de leur ancien gouverneur, Mohammed-Ibn-Yezid.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

Yazid va vouloir humilier les Berbères d'Ifriqiya comme il avait humilié les habitants du Souad.Mais l'Ifriqiya n'est pas le Souad, les Berbères le tueront.

La situation a très vite été désamorcée en Ifriqiya car le Calife approuvera la mort de Yazid suite à une lettre des Berbères envoyée à celui-ci

Ils écrivirent alors au khalife Yezìd-Ibn-Abd-el-Melek pour lui déclarer qu'ils n'avaient pas renoncé à leur fidélité, mais que Yezid-Ibn-Abi-Moslem les avait traités d'une manière outrageante devant Dieu et les musulmans, et qu'ils venaient de se remettre sous l'autorité de leur ancien gouverneur. Le khalife leur fit une réponse par laquelle il désapprouva la conduite d'Ibn-Abi-Moslem et confirma le choix qu’ils avaient fait de Mohammed-Ibn-Yezid.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

Quelques années plus tard, au Maghreb, la politique omeyyade ne s'améliorera toujours pas. Les gouverneurs mis en place se comporteront en tyrans contre les Berbères, de l'aveu même des sources assez pro-omeyyade.

Obeid-Allah-Ibn-el-Habhâb, nommé gouverneur de l'Ifrigiva par Hicham- Ibn-el-Mélek, partit de l'Egypte selon l'ordre de ce khalife, et étant arrivé à sa destination en l'an 114 (732-3), il donna le commandement de Tanger et du Maghreb-el-Acsa à Omar Ibn-Abd-Allah-el-Moradi. Il désigna aussi son propre fils, Ismail, pour gouverner le Sous et les régions qui s'étendent au delà de cette province. L'administration de ces deux fonctionnaires se prolongea et devint si oppressive que les populations berbères finirent par la prendre en détestation. Ils obligèrent ce peuple à fournir des prestations composées de belles esclaves berbères, de toisons jaunes et des produits du Maghreb les plus rares; ils poussèrent même leurs exigences si loin qu'on était souvent obligé de tuer tout un troupeau de brebis pour avoir un ou deux foetus dont la laine était de
la couleur voulue.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

On notera par exemple le fait qu'on ordonnait aux habitants d'abattre tout leur troupeau, surtout les femelles en gestation.Pourquoi ? Pour récupérer un ou deux fœtus, car la laine des fœtus était très appréciée chez la noblesse omeyyade d'Orient.On glisse vers le diabolique.

Al Nowaïri dira du gouverneur de Tanger à cette époque:

Obeid Allah Ibn el-Habhab, mewla de la tribu de Seloul, occupait une place éminente dans l'administration civile, s'exprimait avec élégance et savait par cœur la poésie des Arabes du désert, l'histoire de leurs journées célébrées et les récits de leurs combats. […]
Il confia le commandement de Tanger et ses dépendances à Omar Ibn Abd Allah el-Moradi; mais celui-ci se conduisit avec injustice et commit des illégalités dans la perception de la dime aumonière et la répartition du butin. Il voulait prélever le quint sur les biens des Berbères, sous prétexte que les propriétés de ce peuple étaient un butin acquis aux musulmans, chose qu'aucun alim avant lui n'avait osé faire, ce fut seulement sur ceux d'entre eux qui refusèrent d'adopter l'islam que les gouverneurs imposaient ce tribut.
Cette conduite porta les Berbères de Tanger à la révolte, et ils se mirent tous en insurrection contre lui, en l'année 122 (739-40 de EC). Ce fut la première fois que, dans la province d'Afrique, des troubles éclatèrent au sein de l'islam.

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

Maysara, précurseur de la Grande Révolte Berbère, envoya une députation à Hicham, roi omeyyade de cette époque, pour se plaindre de la situation de son peuple.Sa députation sera ignorée. Décision fatale.

La Grande Révolte Berbère

Le traitement injuste des Berbères par les gouverneurs omeyyades a finalement conduit à la Grande Révolte Berbère. Les Berbères, fatigués des humiliations et de l'exploitation, se sont révoltés contre les gouverneurs omeyyades, tuant Omar, le gouverneur omeyyade de Tanger, et Ismail, l'émir omeyyade de la région du Souss. Les troupes omeyyades de Kairouan ont tenté d'étouffer la révolte, mais en vain.

Ces actes d'oppression et de tyrannie étant enfin devenus insupportables, les Berbères cédèrent aux instigations de Meicera, et, en l'an 122 (740), ils tuèrent Omar-Ibn-Abd-Allah, gouverneur de Tanger [...] Meicera se rendit ensuite dans le Sous et fit mourir Ismaîl-Ibn-Obeid-Allah, émir de cette province.
Le feu de la révolte se propagea aussitôt dans tout le Maghreb et à un tel point que les khalifes de l'Orient ne purent plus y faire respecter leur autorité. Ibn-el-Habhâb sortit de Kairouan pour livrer bataille au rebelle, mais son avant-garde, commandée par Khaled-Ibn-Habib-el-Fihri, fut mise en déroute et ce général perdit la vie.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

La nouvelle de cette révolte s'est répandue jusqu'en Andalousie, provoquant une rébellion des Berbères dans cette région également.

Le calife Hicham, dans sa tentative de contrôle sur le Maghreb, avait envoyé une force impressionnante de 12 000 soldats de la milice syrienne pour combattre Maysara, un leader local. Kolthoum, un autre leader syrien, avait également été mobilisé avec sa troupe pour s'opposer aux insurgés berbères.

À la nouvelle de cette victoire, les Berbères qui se trouvaient en Espagne déposèrent leur gouverneur, Ocba-Ibn-el-Haddjadj-es-Selouli, et se donnèrent pour chef Abd-el-Mélek-Ibn-Calen-el-Fihri. Ce bouleversement décida le khalife Hicham-Ibn-Abd-el-Mélek à envoyer en Afrique douze mille soldats de la milice syrienne et à remplacer Ibn-el-Habhâb par Kolthoum-Ibn- Eiad-el-Cocheiri auquel il confia aussi le commandement de cette expédition.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

Cependant, les troupes omeyyades furent mises en déroute par les Berbères. Il est à noter que pendant toute la durée de vie de Maysara, les califes n'ont exercé aucune autorité sur le Maghreb.

Un rebondissement survint peu de temps après avec la déposition de Maysara par les Berbères eux-mêmes suite à un conflit interne. Le leadership de la révolte fut alors repris par Khalid al-Zenati. Ce dernier se retrouva face aux Omeyyades dans ce que l'histoire retiendra plus tard comme "La Bataille des Nobles". Contre toute attente, Khalid al-Zenati sortit vainqueur.

Répercussions des Batailles

L'historien al-Nowaïri rapporte que suite à cette bataille, le roi Hicham exprima une grande colère. Il fit la promesse de mettre fin aux Berbères et décida d'envoyer une armée massive au Maghreb.

En apprenant ce malheur, Hischam ibn Abd el-Melik s'écria : « Par Allah ! Je me fâcherai contre eux de la colère d'un Arabe ! Je leur enverrai une armée telle qu'ils n'en virent jamais dans leur pays, la tête de la colonne sera chez eux pendant que la queue en sera encore chez moi. Je ne laisserai point de château berbère sans établir à côté un camp de guerriers de la tribu de Keis ou de celle de Temim. »
Il envoya alors à Obeid Allah Ibn el-Habhâb une lettre de rappel.

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

Cette armée d'une échelle jamais vue fut pourtant détruite par les Berbères. Khalid al-Zenati, après cette victoire, disparut des chroniques et plus personne n'entendit parler de lui.

Son destin est certes incertain, mais son héritage est indéniable. Grâce à ses batailles, il brisa définitivement l'emprise des Omeyyades, le plus grand empire de son époque, sur le Maghreb Occidental et Central. Bien que les Omeyyades aient mis environ un demi-siècle à conquérir le Maghreb et qu'ils y aient régné pendant une durée équivalente, ils ont été vaincus en moins de 10 ans à cause d'une négligence trop prolongée et d'un revirement suprématiste antiberbère.

La Situation en Ifriqiya

Suite au retrait des Omeyyades du Maghreb Occidental et Central, une question demeure : qu'en est-il de l'Ifriqiya ? Cette région, où la situation s'était désamorcée initialement, restera sous contrôle Omeyyade. Les révoltes en Ifriqiya furent menées par d'autres chefs, se reposant cette fois en grande partie sur les Houaras. Ces dernières furent maîtrisées et vaincues par les Omeyyades durant la Bataille d'al-Qarn. Ainsi, l'Ifriqiya restera sous contrôle omeyyade, puis abbasside et enfin aghlabide avant de devenir réellement indépendant.

Les Révoltes Berbères Post-Omeyyades

La situation du Maghreb après la Grande Révolte Berbère.

Cependant, la situation en Ifriqiya ne s'est pas arrêtée là. Diverses révoltes berbères eurent encore lieu après la chute des Omeyyades. Comme celle des Werfadjjouma, qui s'emparèrent de Kairouan.

Les Werfadjjouma, devenus maîtres de Kairewan, livrèrent aux tortures les plus cruelles et à la mort les membres de la tribu de Koreisch qui y étaient restés. Ils logèrent leurs montures dans la grande mosquée même de la ville, et (par cette conduite scandaleuse) ils firent éprouver à leurs alliés de vifs regrets d'avoir coopéré à leurs succès. [...]

Al-Nowaïri (Histoire de la province d'Afrique et du Maghreb)

Suite à cette révolte, la branche de la famille Fihr s'éteignit. Cette révolte avait incité les Abbassides à envoyer des troupes en Ifriqiya. Cependant, les Werfadjjouma furent eux-mêmes massacrés par d'autres Berbères dirigés par Abou al-Khattab, et ces derniers affrontèrent ensuite les Abbassides. Abou al-Khattab et ses troupes vainquirent d'abord les Abbassides, mais un conflit interne éclata parmi eux. Les Abbassides profitèrent de cette situation et les vainquirent à leur tour. C'est ainsi que l'Émirat Aghlabide fut établi en Ifriqiya.

Peuplement du Maghreb

En parallèle, il est important de mentionner le peuplement du Maghreb, en particulier de l'Ifriqiya qui est restée sous contrôle Omeyyade puis Aghlabide. Selon al-Yaqubi, contemporain des Aghlabides, la grande majorité de l'Ifriqiya était composée de Berbères Musulmans berbérophones, voire parfois bilingues.

Les populations de l'Ifrigiya se composent d'Arabes, de Perses et d'autochtones composés de Berbères, Byzantins et Afriq. Les Berbères constituent la grande majorité de la population et parlent leur langue; ils sont groupés en tribus indépendantes les unes des autres. Les descendants de Byzantins constituent des îlots aux flancs des Aurès et dans la plaine de l'Ifriqiya. Les Afariq, population descendant des Berbères romanisés qui n'avaient pas encore embrassé l'Islam, résident dans les anciennes places fortes byzantines, et parlent un berbère latinisé.

Al-Yaqubi (Kitab al-Buldan)

Ils étaient regroupés en tribus indépendantes les unes des autres. Ceci est un point crucial à retenir pour la suite.

Le Passage de Témoin

Les Aghlabides ont régné sur l'Ifriqiya jusqu'en 909. À cette date, les Kutamas se sont révoltés contre eux et ont chassé le dernier souverain de cette dynastie qui s'est enfui en Orient. Cette révolution a détruit pour toujours l'empire des Arabes en Ifriqiya. Ainsi, le pouvoir au Maghreb est passé entre les mains des différentes tribus berbères.

Cette révolution détruisit pour toujours l'empire des Arabes en Ifriqiya et mit les Ketama en possession de l’autorité suprême. Les Berbères du Maghreb suivirent, plus tard, l'exemple de leurs voisins, et dès lors l'influence exercée par les Arabes en Ifriqiya et au Maghreb disparut pour toujours, avec le royaume qu'ils y avaient fondé. Le pouvoir passa entre les mains des Berbères et se maintint tantôt dans l'une de leurs tribus, tantôt dans l'autre.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

À ce stade de l'histoire, nous sommes dans un Maghreb Berbère, indépendant et resté d'essence islamique. Après le départ des Kutamas pour l'Orient, le Maghreb s'est partagé entre différentes tribus berbères.

Changement Majeur dans l'Histoire du Maghreb

Le Maghreb après le départ des Kutamas.

Un événement majeur s'est alors déroulé. Les émirs berbères zirides et Hammadides (El-Moezz) ont affirmé leur attachement au sunnisme alors qu'initialement, ils étaient plutôt proches des fatimides ismaélites, une branche du chiisme. Ce choix a déclenché un événement très important dans l'histoire du Maghreb.

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L'Invasion Hilalienne : L'Arrivée des Hilaliens

Les Hilaliens, pour la plupart originaires de la région arabique, étaient des nomades connus pour leur nature turbulente. Même les Abbassides, une des plus puissantes dynasties de l'époque, avaient des difficultés à les contrôler. Ce sont ces Hilaliens qui seront envoyés au Maghreb par les Fatimides dans le double objectif de porter atteinte au royaume d'El-Moezz et de mettre fin aux méfaits des Hilaliens dans leurs propres terres.

Premiers Contacts et Confrontations

La première rencontre entre les Hilaliens et El-Moezz fut étonnamment cordiale. Cependant, les choses ne se déroulèrent pas comme prévu. El-Moezz demanda à un leader Hilalien de rallier ses compatriotes à sa cause. Ces derniers, lors de leur arrivée, laissèrent une traînée de destruction derrière eux, comme si, malgré leurs premiers contacts amicaux, ils finirent par suivre le plan des Fatimides.

L'Établissement des Hilaliens

Les Hilaliens prirent d'abord possession des villes berbères d'Ifriqiya. Toutefois, ils en furent rapidement expulsés par les locaux et durent se replier dans les campagnes. Pendant près d'un siècle, les Hilaliens se déplacèrent dans l'Ifriqiya, leurs mouvements étant principalement motivés par la recherche de pâturages pour leurs troupeaux plutôt que par une volonté de conquête territoriale ou politique.

Relations avec les Almohades

Environ un siècle après leur invasion, les Almohades, un mouvement berbère, firent leur entrée en Ifriqiya. Au début, les Hilaliens leur prêtèrent allégeance, mais ils changèrent d'avis et s'opposèrent aux Almohades. Cela conduisit à la bataille de Sétif, durant laquelle les Almohades infligèrent de lourdes pertes aux Hilaliens. Suite à cette bataille, les Hilaliens reconnurent l'autorité des Almohades.

Initialement, les Hilaliens n'avaient pas l'intention de quitter l'Ifriqiya. Cependant, la situation les obligea à migrer vers le Maghreb Occidental et Central. Contrairement à leur arrivée en Ifriqiya, qui fut perçue comme une invasion, leur déplacement vers le Maghreb Occidental et Central fut plutôt considéré comme une déportation. Une partie d'entre eux fut envoyée à Tamesna et dans l'Azghar, régions actuellement situées au Maroc.

Le Rapport de Force entre Berbères et Hilaliens

Malgré leur nature turbulente, les Hilaliens n'étaient pas toujours victorieux. Les Rîah, considérés par plusieurs historiens comme la tribu arabe la plus puissante et la plus guerrière du Maghreb, furent notamment vaincus par les Banu Marin, une tribu Zénète. Cette défaite, couplée à d'autres conflits avec les Hafsides en Ifriqiya et les Mérinides au Maghreb Occidental, réduisit considérablement leur nombre et leur influence.

Néanmoins, il est important de noter que certains groupes Hilaliens ont réussi à obtenir un certain pouvoir, comme les Zoghba qui réussirent à imposer des impôts à toutes les tribus du Maghreb Central.

La complexité des rapports fiscaux au Maghreb

Il est crucial de noter que, au Maghreb, les impôts n'étaient pas uniquement destinés aux Berbères ou aux Arabes. Les Zoghba, par exemple, étaient soit dévoués soit amis des Zianides, et leurs territoires leur avaient été accordés par les Zianides.

L'influence de la politique fiscale

Il n'était pas rare que les Berbères imposent des impôts aux Arabes, outre les Almohades, Mérinides, etc. On peut notamment citer les Toudjîn qui vont soumettre aux impôts les Hosein. Parfois, les Hilaliens se soumettaient entre eux aux impôts. Le gouvernement berbère en place utilisait souvent les Hilaliens comme "percepteurs d'impôts". Cependant, les Berbères étaient également utilisés pour cette tâche et pouvaient également subjuguer d'autres Berbères.

L'impôt comme moyen de contrôle

Quant à l'impôt ou au tribut, les Hilaliens imposaient souvent un tribut ou un "impôt" à des peuples d'une localité en échange d'une "protection illusoire". Si certains refusaient de payer cet impôt ou ce tribut, les chefs hilaliens lançaient contre ces localités un "ramas de vagabonds", ce qui était surtout une forme de brigandage, une capacité de nuisance contre les citadins ou les villageois. Et ceci, souvent avec l'accord, l'indifférence ou la complicité du gouvernement berbère en place.

Le choix de payer l'impôt

Certaines tribus payaient ce fameux tribut par condescendance bien qu'elles pouvaient combattre (nous le verrons plus tard). D'autres, car elles n'avaient tout simplement pas le choix.

L'évolution de la situation fiscale au Maghreb Central

Concernant les populations du Maghreb Central, elles ne resteraient pas indéfiniment sujettes aux impôts des Zoghba. Quelques décennies après Ibn Khaldoun, nous apprenons que diverses régions du Maghreb Central ne sont ni sujettes aux Rois, ni aux Zoghba.

Les Mesrata : une tribu Berbère Houara d'Ifriqiya

Un exemple plus frappant est celui des Mesrata, une tribu Berbère Houara d'Ifriqiya. Selon Ibn Khaldoun, cette tribu payait aux Hilaliens un impôt, faible, quasiment symbolique, par pure "condescendance".

Sur la frontière de cette province, du côté de Sort et de Barca, se tient une tribu hoouaride appelée les Mesrata. Nombreuse encore et très puissante, elle ne paie qu'une faible redevance aux Arabes, tribut qu'elle a l’air d'acquitter par condescendance. Comme elle s'occupa principalement du commerce, elle fait de fréquentes expéditions en Égypte et à Alexandrie.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

En effet, quelques décennies plus tard, cette tribu ne paye de redevance, d'impôt ou de tribut à personne. Plus tard encore, Marmol rapporte que cette tribu, riche, ne payait rien à personne et entrait en guerre avec les Arabes voisins.

Le fait que les Mesrata s'affranchissent de leur léger tribut, conservant puissance et richesses, mais laissant à leur sort leurs compatriotes Houaras tributaires, témoigne de cette "indépendance" qu'ont les tribus berbères les unes envers les autres dont parlait Al Yaqubi.

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La théorie du "grand remplacement"

Pour clôturer ce sujet, il est nécessaire de parler de la théorie selon laquelle les Berbères auraient été remplacés ou supplantés par les Hilaliens suite à leurs invasions. Cet argument est irrecevable car il donne également aux Beni Ifren (tribu berbère) le nombre d'un million. En réalité, leur nombre est estimé aujourd'hui entre 100 000 et 300 000 individus.

Les conséquences des invasions hilaliennes

En réalité, cette théorie de "grand remplacement" des Berbères suite aux invasions hilaliennes est un pur mythe récent. Pas besoin de génétique, il suffit simplement de lire l'histoire.

L'état du Maghreb après les invasions

La région du Maghreb Occidental, du temps d'Ibn Khaldoun, donc bien après les invasions hilaliennes, est toujours majoritairement peuplée de Berbères Masmouda. La région du Maghreb Central quant à elle et toujours pendant la même époque, est majoritairement peuplée de Berbères Zénètes. La région de l’Ifriqiya, encore une fois du vivant d’Ibn Khaldoun, est toujours majoritairement peuplée de Berbères Houaras.

La plus grande partie des habitants du Maghreb-el- Acsa appartient à la tribu de Masmouda, les Sanhadja ne s'y trouvent qu'en petit nombre, mais dans les plaines d'Azghar, Tamesna, Tedla et Doukkala on rencontre des peuplades nomades, les unes berbères, les autres arabes.

Le Maghreb central, dont la majeure partie est maintenant habitée par les Zenata, avait appartenu aux Maghraoua et aux Beni-Ifren, tribus qui y demeuraient avec les Medìouna, les Maghila, les Koumia, les Matghara et les Matmata.

Les campagnes de l'Ifriqiya servent encore d'habitation à plusieurs autres populations nomades dont la majeure partie appartient aussi à la tribu de Hoouara.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)
Localisation des groupes majoritaires du Maghreb du temps d'Ibn Khaldoun.

Globalement, le Maghreb est majoritairement peuplé de Berbères de la branche Sanhadja, qui représenteraient le tiers de la "race Berbère". Par conséquent, juste cette fraction est majoritaire au Maghreb.

Les Sanhadja, une des tribus berbères les plus considérables par leur nombre, ont continué, jusqu'à nos jours, à former la majeure partie de la population du Maghreb. Chaque montagne, chaque plaine de cette région renferme une peuplade sanhadjienne : c'en est au point que bien des personnes les regardent comme formant le tiers de toute la race berbère.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome II)

Léon l’Africain, dans le premier volume de Description de l”Afrique, confirme également que les Sanhadjas sont la population la plus nombreuse du Maghreb, même s’il évoque plus tard leurs possibles origines himyarites.

Sachant que les Hilaliens ne sont majoritaires ni au Maghreb occidental, ni au Maghreb central, ni en Ifriqiya, on peut estimer que la population du Maghreb, dans son ensemble, était approximativement divisée comme suit : le tiers de la population étant Sanhadja, le reste se répartissant entre les autres tribus Berbères et les Hilaliens.

Population du Maghreb au 15-ème siècle selon les estimations d'Ibn Khaldoun.

Ces données historiques sont en corrélation avec la génétique, science actuelle avec laquelle on comparera volontiers les sources anciennes.

Génétiquement, les Tunisiens présentent en majorité une ascendance paternelle d'origine Berbère selon un article de recherche scientifique.

En considérant les populations tunisiennes dans leur ensemble, la majorité de leurs haplogroupes paternels sont d'origine berbère autochtone (71,67 %), coexistant avec d'autres supposément en provenance du Moyen-Orient (18,35 %) et dans une moindre mesure d'Afrique subsaharienne (5,2 %), d'Europe (3,45 %) et d'Asie (1,33 %).

Elkamel, S., Marques, S.L., Alvarez, L. et al.

Les Berbères se mariaient avec des femmes hilaliennes, ce n'était pas proscrit. On trouve, par exemple, chez les Mérinides des femmes tant hilaliennes que chérifiennes. Ibn Khaldoun évoque que, déjà à son époque, les Arabes s'étaient mêlés de Berbères car ceux-ci formaient la masse de la population.

Quant à l'Ifrigiya et au Maghreb, les Arabes s'y sont mêlés, en fait de peuples étrangers, aux Berbères, parce que ceux-ci faisaient la masse de la population, il n'y avait, pour ainsi dire, ni ville ni peuplade où il ne se trouvât des Berbères, aussi le langage étranger y a-t-il pris le dessus sur la langue que parlaient les Arabes, et il s'est formé un nouvel idiome mixte, mais sur lequel le langage étranger a plus d'influence, par la raison que nous venons de dire, d'où il résulte que ce langage s'éloigne beaucoup de l'idiome primitif.

Ibn Khaldoun (Les Prolégomènes : Tome III)

L'arabisation du Maghreb

Malgré la majorité Berbère et berbérophone au Maghreb après ces invasions hilaliennes, une question demeure : pourquoi la majorité des Maghrébins parle-t-elle l'arabe aujourd'hui ?

Pour aborder ce sujet, prenons l'exemple de l'époque d'Ibn Khaldoun, où le Maghreb était majoritairement berbérophone, à l'exception des grandes villes.

Sur le continent africain, les Berbères forment la masse de la population, et leur langue est celle de toutes les parties du pays, à l'exception des grandes villes. Aussi la langue arabe s'y trouve submergée sous les flots de cet idiome barbare, de ce jargon parlé par les Berbères.

Ibn Khaldoun (Les Prolégomènes : Tome III)

Logiquement, la langue utilisée dans ces villes était l'arabe ou un bilinguisme arabe/berbère. Mais qui étaient les habitants de ces villes ? Ces grandes villes étaient également peuplées de Berbères, comme le montrent les exemples de Tanger, Salé, Azemmour, Anfa, Asfi et Tlemcen.

La Mer Environnante forme la limite occidentale du Maghreb, comme nous venons de le dire, et baigne un
rivage où s'élèvent plusieurs villes de ce pays. Tels sont Tanger, Salé, Azemmor, Anfa et Asfi, ainsi que
Mesdjid-Massa, Tagaost et Noul dans la province de Sous.
Toutes ces villes sont habitées par des Berbères.

Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères : Tome I)

Les Hilaliens vont transmettre, dans un premier temps, leur langue aux Louatas, puis aux Houaras qui habitaient l'Ifriqiya. Par la suite, l'arabisation du Maghreb ne sera plus le fait unique des Hilaliens. Outre les villes probablement déjà arabisées, le reste du Maghreb sera à son tour arabisé par les Houaras, Louatas et Hilaliens.

Il faut également ajouter que l'arabisation linguistique du Maghreb n'est pas achevée.En partant du principe que le Maghreb compte environ 30% de berbérophones, en réalité ce sont environ 55% à 60% de Berbères qui sont passés à la langue arabe aujourd'hui.

Conclusion

Il est clair donc que le concept du "grand remplacement" des Hilaliens est un pur mythe, et un mythe récent qui plus est. Les Berbères constituent le peuple majoritaire au Maghreb, et il est indéniable que tout le monde dans cette région possède du sang berbère. L'arabisation du Maghreb s'est principalement limitée au domaine linguistique, et il est donc erroné d'affirmer qu'il n'y a pas d'Arabes au Maghreb. Les Arabes maghrébins sont une réalité historique, bien que mélangés aux Berbères, et il existe effectivement des descendants d'Arabes dans la région. Cependant, il convient de souligner que la majorité de la population est d'origine berbère.

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