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L’Abrogation de l’Article 490 du Code Pénal Marocain Revendiquée par le Collectif Moroccan Outlaws 490

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Rappel Des Faits.

Hanaa, une jeune Femme de 24 ans, a été condamnée le 4 janvier 2021 à un mois de prison ferme et 500 dirhams d’amende pour « relations sexuelles hors-mariage » et « outrage à la pudeur [1] », après la diffusion d'une vidéo à caractère sexuel [2]. L’homme apparaissant sur la vidéo ne se situe plus sur le sol Marocain. L’individu qui a enregistré et diffusé la video est également à l’étranger. La justice Marocaine a émis un mandat d’arrêt national contre l’homme qui apparait sur la vidéo. Il réside aux Pays-Bas : un État avec lequel le Maroc n’a pas d’accord de coopération judiciaire [3].

Le 3 février 2021 à sa sortie de prison, Hanaa a déclaré son intention de porter plainte contre les sites pornographiques ayant diffusé la vidéo, et contre la personne qui a filmé et diffusé les images à son insu. Simultanément, le Collectif Moroccan Outlaws 490 a amorcé une campagne virtuelle visant l’abrogation de l’article 490 du Code Pénal [4]. Le #STOP490 s’est alors diffusé sur la toile Marocaine.

Une Communication Douteuse Du Collectif Militant.

Le 3 février 2021, le Collectif Moroccan Outlaws 490 partageait sur son compte InstaGram le message suivant : « Pour soutenir Hanaa de Tétouan et demander l’abrogation de l’article 490 du Code Pénal, diffusez-le #STOP490 » [5]. Ce groupe militant qui se définit comme « Mouvement social et citoyen Marocain » a saisi l’occasion pour exprimer sa principale revendication : abroger l’article 490 du Code Pénal. Qu’en est-il alors de Hanaa, coupable au sens de l’article 490, mais également victime du revenge porn de son ex-partenaire au sens de l’article 447-1[6] ?

 

Si l’on se penche sur les publications InstaGram du Collectif, l’on observe qu’il est à plusieurs reprises répété que « l’auteur de la diffusion de la vidéo n’est pas inquiété par la justice », sans préciser pourquoi. D’après la plupart des médias qui évoquent les rapports d’enquêtes et les dires de différents avocats, l’auteur de la vidéo réside à l’étranger et n’est pas véritablement identifié. C’est précisément pour ces raisons que l’individu n’a pas eu affaire à la justice, et non pour une prétendue clémence des autorités implicitement suggérée par le Collectif. S’agissant de l’homme apparaissant dans la vidéo, il a été identifié et un mandat d’arrêt national a été émis à son encontre. Ce détail a également été passé sous silence par l’association, et ce durant toute la promotion de l’événement virtuel. L’ombre faite sur ces compléments d’informations a nourri une frustration et un sentiment de persécution dans les différentes sections de commentaires des publications.

 

Toujours sur son compte InstaGram, le Collectif suggère que seule Hanaa, en sa qualité de Femme, est ici visée par la loi : « Victime d’exploitation sexuelle et de diffusion de vidéos privées sans son consentement, c’est pourtant Hanaa qui par l’application de la loi 490 se retrouve derrière les barreaux… C’est dire à quel point cet article est insidieux et dangereux ». À travers ce message, l'association suggère une confusion outrancière. Hanaa a certes subi un préjudice au sens de l’article 447-1 du Code pénal, mais ce n’est pas pour celui-ci qu’elle a été condamnée. Cette Femme, qui a reconnu son délit, a bien été condamnée pour outrage à la pudeur et relations sexuelles hors-mariage par application des articles 483 et 490 du Code pénal. Le préjudice subi par un délinquant n’est pas annulatif du délit qu’il commet. Par ailleurs, l’avocat de Hanaa indique lui-même que « l’enjeu de ce dossier est la protection de l’intimité et la vie privée [7] ». Après avoir passé sous silence les détails relatifs aux deux autres individus impliqués dans l’affaire, le Collectif aura honteusement instrumentalisé la condition de Femme de Hanaa à ses fins militantes. Après constatation, existe-t-il véritablement un lien fondé entre le préjudice subi par Hanaa et les revendications du Collectif ? Il apparait évident que ce n'est pas le cas.

 

Le Collectif se fonde de facto sur une présentation erronée de l’affaire. Il s’en dégage alors une manipulation mal dissimulée de ses quelques +85.000 abonnés[8]. Outre ce point, l’on remarque que le groupe militant n’a pas particulièrement insisté sur la véritable atteinte portée à Hanaa, qui a fait l'objet de diffusion d’informations privées à son insu. N’est-ce pas ce dont elle est véritablement victime ? Pourquoi ne pas avoir insisté davantage sur la poursuite judiciaire des deux autres individus impliqués ? Finalement, le Collectif ne prend plus vraiment la défense de la jeune Femme. De même, il ne se soucie plus vraiment de sa situation psychologique puisqu’il continue, à son détriment, de relayer cette affaire à des fins strictement militantes. Par ailleurs, Karima Nadir, porte-parole du Collectif, ne cache pas l’opportunisme de l’association qui a sciemment surfé sur l’affaire Hanaa pour rappeler la diversité des revendications portant sur l’abrogation de tous les articles de lois entravant les libertés individuelles[9] des Marocains.

 

Qu’en est-il alors du #STOP490 ? Le Collectif affirme défendre une cause qui concerne tous les Marocains. Une initiative inclusive qui élèverait la voix de celles et ceux traditionnellement réduits au silence. Bien que la communication de la mobilisation virtuelle ait été faite — dans un premier temps — en français, arabe et anglais, le hashtag est en anglais. Cela peut paraitre anodin mais il est légitime de se demander quel est le véritable public visé par l’opération porté par ce hashtag. L’usage d’un hashtag en arabe ou darija n’aurait-il pas été plus judicieux en vue de l’objectif poursuivi ? Le public visé ne serait donc plus le peuple Marocain dans sa globalité mais une partie habituellement réceptive aux hashtags en langue étrangère ? Plus largement, la communication générale ou encore les témoignages recueillis sur le réseau InstaGram du Collectif sont dans la quasi-totalité en langue française ou anglaise. Le Collectif s’érige-t-il véritablement en tant que voix de tous les Marocains ? La communication établie du Collectif porte à croire que non. Plus largement encore, l’un des objectifs poursuivis par l’association n’était-il pas de placer ses revendications sous les projecteurs des médias internationaux ? En effet, le Collectif relaye via InstaGram le passage du #STOP490 dans la presse néerlandaise, égyptienne, suisse ou encore sur BBC Arabic. Est-ce censé être gratifiant ? Est-ce censé représenter une avancée significative pour les revendications brandies ?

Approche Religieuse De L’article 490 Du Code Pénal.

Ce point sera modestement abordé. Le soin d’approfondir la question sera laissé aux spécialistes en la matière. Le Préambule de la Constitution indique que le Maroc est un « État musulman souverain ». De même à son troisième article, il est signifié que « L'Islam est la religion de l’État »[10]. Le Droit musulman désigne la fornication comme un grand péché. Celui-ci est puni de 100 coups de fouet, à condition de recueillir préalablement le témoignage clair et non ambigu de 4 hommes adultes. De son côté, le Droit Marocain évoque la fornication essentiellement à l’article 490 du Code pénal, celui-ci disposant que : « sont punies de l'emprisonnement d'un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n'étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles ». L’intervention d’un spécialiste en vue de mettre la lumière sur les sources de Droit inspirant cet article serait pertinente. L’on peut se demander si la coutume, l’appréciation modérée de la disposition juridique du Droit musulman[11], un choix arbitraire du législateur Marocain — ou les trois à la fois — ont été sollicités. Quoi qu’il en soit, si la peine encourue dans le Droit Marocain n’est pas la même que celle encourue dans le Droit musulman, la morale religieuse a semblé justifier la formulation de l’article 490 du Code pénal.

La Morale Religieuse Et L’éthique Marocaine.

Le Collectif Moroccan Outlaws 490 appelle à l’abrogation de l’article 490 du Code pénal au nom des libertés individuelles. Ceci dit, sous quel prisme ces libertés individuelles sont-elles invoquées ? Le sont-elles sous le prisme de la société Marocaine ? Ou sous celui d’une société étrangère ? À première vue, l’on observe assez aisément que la revendication relative à l’abrogation de la loi est caractérisée par une approche occidentale de la question, faisant littéralement abstraction du particularisme Marocain quant à la problématique posée.

 

Jusqu’alors, l’article 490 du Code pénal n’a jamais véritablement fait l’objet d’une divergence considérable au sein de la société Marocaine. Certains parleront d’un relatif consensus sur la question ; d’autres évoqueront l’absence d’étude probante ou encore un tabou compliquant la prise de parole sincère sur le point. Quoi qu’il en soit depuis l’effectivité de cette loi, il n’est pas apparu la moindre fois où celle-ci a suscité la discorde ou marqué une divergence conséquente au Maroc. Partant, l’absence d’étude à grande échelle, en l’état, peut ainsi se justifier par sa non nécessité. L’intervention d’un spécialiste serait toutefois la bienvenue afin d’apporte un éclairage sur l’applicabilité éventuelle de cette norme avant son inscription dans le Code pénal. Cela permettrait ainsi de déterminer le rapport de la société Marocaine à cette interdiction avant 1913[12], et fixerait alors celles et ceux qui s’accorderaient à penser que la fornication n’était pas juridiquement condamnée jusqu’alors.

 

À travers ses diverses revendications, le Collectif fait rapidement abstraction de la cohésion sociale Marocaine[13] au sein de laquelle s’articulent de nombreuses valeurs telles que la chasteté, la pudeur ou encore l’honneur pour ne citer que celles-ci. Des valeurs pourtant intrinsèquement liées à l’Islam mais aussi à l’héritage social séculaire des Marocains. L’on peut considérer que ces valeurs font partie d’un ensemble plus large de convictions consciemment partagées entre tous. Une sorte de corpus éthique forgé dans la conscience de chacun. L’on pourrait également s’amuser à remettre en cause cette affirmation par l’absence d’étude détaillée.

 

Plus concrètement, le procédé méthodique très peu compatible avec le corpus éthique de la société Marocaine associé à l’approche agressive du Collectif amoindrissent naturellement la réceptivité du message scandé chez l’ensemble des Marocains. Le Collectif n’a pas même fait l’effort d’adapter son discours à la spécificité Marocaine. L’association semble imposer sa volonté à l’ensemble du peuple Marocain en s’agrippant désespérément aux tribunes éphémères accordées par quelques médias occidentaux ; ce qui n’apporte pas la moindre plus-value à la teneur du débat exigé au Maroc.

Abrogation De L’article 490 : Une Revendication Légitimement Fondée ?

L’on peut effectivement se demander par qui et pour qui les initiatives du Collectif  sont-elles entreprises. Ce questionnement peut encore une fois paraitre anodin ; cela dit, la forme de ce Mouvement trahit ses ambitions clamées. En effet, Oum El Ghait Ben Sahraoui précisait en 2019 sur le plateau de TV5 Monde[14] que l’initiatrice du Manifeste pour défendre les libertés individuelles des Marocains était Sonia Terrab et non pas Leila Slimani : ceci afin de ne pas laisser croire que ce dernier était une production extérieure au Maroc. Cependant, il suffit de jeter un œil au compte FaceBook de Sonia Terrab pour s’apercevoir qu’elle s’exprime exclusivement en français. Les événements et articles relatifs à ses revendications sont également en langue française. Finalement, quand bien même elle résiderait au Maroc, le combat qu’elle mène à travers le Collectif Moroccan Outlaws 490 s’adresse quasi-exclusivement à un public francophone. Doit-on rappeler quelle est la langue parlée par les Marocains ? Selon l’Organisation Internationale de la Francophonie, 35% des Marocains sont francophones[15]. Doit-on comprendre que le Manifeste du Collectif défend les libertés individuelles de seulement 35% des Marocains ? Doit-on comprendre que les libertés individuelles des 65% Marocains ne valent pas la peine d’être défendues ? Comment prétendre sensibiliser ou défendre son peuple lorsque l’on s’adresse à lui dans une langue qui lui est étrangère ? Les deux tiers de la population Marocaine sont de facto exclus du débat. Dès lors, peut-on vraiment considérer les revendications de cette association comme véritablement légitimes ? 

Ce collectif apparait sur la forme très peu légitime quant aux revendications qu’il exprime. Rachid Hachachi confiait déjà en 2019 à RT France[16], lors de l’affaire Hajar Raissouni, que les initiatives du Collectif Moroccan Outlaws 490 consistaient en des revendications bourgeoises. Le politologue évoquait également une « volonté de transposer un combat qui n’est pas celui des Marocains mais celui d’une petite minorité Marocaine occidentalisée dans le mode de vie et de la petite bourgeoisie Marocaine ». Une description qui semble convenir au Collectif si l’on s’en tient à ses méthodes de communication pour le moins non inclusives. De même, le Collectif se satisfait d’une tribune médiatique étrangère tandis qu'il relègue au second plan celle de l’État pour lequel ses revendications sont adressées.

Le Collectif Cherche-T-Il Réellement À Instaurer Le Débat ? Ce Même Débat Serait-Il Légitimement Fondé ?

Le Collectif Moroccan Outlaws 490 affirme s’engager pour l’instauration d’un débat autour de ses revendications. Ce n’est pourtant pas ce que l’on observe au regard de ses différents procédés. Qu’il s’agisse de sa communication agressive et dénigrante à l’égard des Marocaines et Marocains attachés aux mœurs qu’il combat ou encore de la réalité sciemment travestie qu’il suggère à son public afin de susciter un sensationnalisme trompeur ; dans les deux configurations, l’association restreint la place laissée au débat.

 

Ainsi, en se focalisant strictement sur les libertés individuelles brandies, le Collectif fait totalement abstraction des conséquences sociales que les éventuels abrogations ou amendements des lois considérées comme liberticides pourraient générer. Les partisans du #STOP490 s’accordent à penser que la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage ne constituerait aucun dérèglement social. La transition sociale post-abrogation est considérée par ces militants — à tort — comme acquise de fait. La réalité pourrait effectivement être toute autre. Admettons que l’article 490 du Code pénal soit abrogé : les mœurs Marocaines banaliseraient-elles pour autant l’accès à la contraception ? Serait-ce là une porte ouverte à l’explosion des maladies sexuellement transmissibles, à l’augmentation des grossesses et naissances non assumées, à la construction de nouveaux orphelinats ou encore à la recrudescence potentielle des avortements pratiqués dans la clandestinité ? Absolument rien ne garantit que ces scénarios ne soient pas ceux qui attendent la société Marocaine. Et aucune de ces thématiques ne sont véritablement abordées par les militants.

 

Une parenthèse sur l’avortement mériterait d’être ouverte. L’article 453 du Code pénal dispose que : « l'avortement n'est pas puni lorsqu'il constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu'il est ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien avec l'autorisation du conjoint ». Un avortement alors permis mais strictement conditionné. L’épisode Hajar Raissouni en 2019 fut l’occasion pour le Collectif de renouveler ses revendications relatives à l’amendement de cette loi. La Parlement aurait récemment eu l’intention d’élargir les conditions légales de l’avortement[17], mais cette avancée serait « loin d’être suffisante »[18] selon l’association qui espèrerait faire de l’avortement un Droit acquis à toute Femme, quelles que soient les circonstances dans lesquelles elle y aurait recours. À ce sujet, une lumière pourrait être faite sur la prise de parole du Docteur Aissam Bachir[19], qui rappelle le contenu du discours de Simone Weil de 1974 sur la question de l’avortement dans la société française. L’ex-Femme d’État explicitait que l’avortement devait demeurer l’exception pour des situations sans issue[20]. Selon le Docteur, l’avortement n’est pas un Droit mais une nécessité médicale.

 

Amender l’article 453 en vue d’élargir les conditions de l’avortement pour endiguer sa pratique clandestine serait bienvenu dans la société Marocaine. Cette disposition nouvelle demeurerait compatible avec le corpus éthique Marocain ; toutefois, le Collectif n’a pas l’intention de s’en contenter. L’association a-t-elle demandé l’avis des Marocaines ? Peut-être n’en demandent-elles pas autant que ce que le Collectif exige du législateur ? Peut-être est-ce le cas, mais qu’en sait-on ? Finalement, sur quels fondements le Collectif légitime-t-il ses revendications ? Le débat n’est pas vraiment suggéré, l’impasse est faite sur des notions importantes du débat telle que la place du Droit à la vie face au Droit à l’avortement revendiqué. Quelle que soit la revendication, la méthodologie militante est reproduite et écarte de facto le prétendu débat sain poursuivi.

 

D’une part, le Collectif s’écarte de toute perspective de débat ; d’autre part, il alimente la rupture sociale entre ses partisans et le reste des Marocains non sollicités. Cette fracture s’est par ailleurs illustrée sur les réseaux sociaux à travers la confrontation des hashtags #STOP490 et #KEEP490. Une confrontation qui n’a apporté aucune plus-value à un débat qui mériterait pourtant que l’on s’y penche. L’attitude du Collectif est regrettable à bien des égards : cette association s’est montrée non inclusive et très peu conciliante. L’on peut se demander si, à défaut de s’investir pour la paix sociale au Maroc, le Collectif souhaite réellement élaborer des solutions aux différentes problématiques sociétales.

Ce Qui Pose Problème Avec L’article 490 Du Code Pénal

La critique émise à l’encontre de l’article 490 du Code pénal est relativement floue. Le Collectif s’oppose-t-il au contenu de cette loi ? Ou est-ce son applicabilité qui est contestée ?

 

Pour rappel, l’article 490 dispose que « sont punies de l'emprisonnement d'un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n'étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles ». La question qui se pose ici est celle de la constatation du crime. Comment la preuve est-elle rapportée ? En principe, la preuve s’établit par procès-verbal du constat de flagrant délit dressé par un officier de police judiciaire ou par l’aveu du prévenu[21]. Dans la pratique, l’on constate qu’il est très difficile de recueillir ces éléments. Les autorités se prêtent alors à deviner les potentielles relations sexuelles. Il s’agit là d’un dépassement de fonction forçant ces mêmes autorités à émettre des jugements sur l’apparence des individus. Voilà déjà la première anomalie de l’applicabilité de l’article 490 du Code pénal. Cette nouvelle approche de la sexualité par les pouvoirs publics éclaire dès lors sur la dimension non plus morale mais sociale de la criminalisation des mauvaises mœurs[22]. Encore une fois dans la pratique, la prohibition légale des relations sexuelles hors-mariage tend à n’être concrètement mise en œuvre qu’à l’encontre de filles généralement issues des classes précaires[23]. C’est là une deuxième anomalie de l’applicabilité de l’article 490 du Code pénal. En optant pour cette pratique de repérage essentiellement focalisée sur la gent féminine, la gente masculine s’en tire à bon compte. D’une part, l’applicabilité improvisée des autorités — qui n’est évidemment pas légiférée — crée une inégalité de traitement ; d’une autre part elle affecte l’intégrité de la Femme Marocaine qui, lorsqu’elle fait l’objet d’un contrôle arbitraire de la police, est souvent catégorisée comme prostituée[24] pour le seul fait d’avoir eu une activité jugée s’y apparentant. Mériam Cheick évoque l’idée d’illégalisme[25] empruntée à Foucault, traduisant en l’espèce la fausse neutralité des autorités à l’égard des gentes féminine et masculine. C’est précisément en ce sens que la Femme Marocaine subit une injustice, et non pas parce qu’elle est condamnée pour un délit qu’elle a effectivement commis[26] comme l’avance le Collectif. Cette injustice subie par la Femme Marocaine constitue une troisième anomalie de l’applicabilité de l’article 490 du Code pénal. Si les trois éléments précités illustrent assez bien le caractère faillible de cette loi, une autre considération majeure suffirait peut-être à elle seule à remettre en question la légitimité de l’applicabilité improvisée de la disposition juridique. L’attitude improvisée des autorités ne serait-elle pas une atteinte au Droit à la vie privé, Droit pourtant garanti par la Constitution à son article 24 ? « Toute personne a droit à la protection de sa vie privée. […] Le domicile est inviolable. […] Les communications privées. » ; l’interrogation peut paraître légitime. Cette atteinte potentielle au Droit à la vie privée constitue une quatrième anomalie de l’applicabilité de l’article 490 du Code pénal.

 

Parenthèse statistique, les interpellations relatives aux relations sexuelles hors mariage sont en baisse ces dernières années. À titre d’illustration, la ville de Tanger recensait 404 affaires en 2009, puis seulement 80 dans l’année 2014. Cette baisse traduit moins la chute effective des rapports sexuels hors mariage que l’atténuation par la police des mesures répressives en matière de mœurs. La jeune anthropologue[27] poursuit en indiquant que « la moralisation de la décennie actuelle semble passer désormais par la sécurité de la ville et, partant, par un renforcement du travail policier axé sur le rappel non pas de l’ordre moral mais de l’ordre social »[28]. Finalement, l’on constate que si le nombre d’interpellations pour relations sexuelles hors mariage s’élève à +15.000 en 2019, la tendance tend globalement à diminuer[29].

Ce Qui Doit Être Changé Dans L’article 490 Du Code Pénal.

L’on peut enfin se demander quelle serait la solution adéquate s’agissant de l’article 490 du Code pénal. S’il fallait strictement peser le pour du contre, l’on pourrait être hostile à son abrogation, et peut-être un peu moins à sa préservation. Le Collectif n’a pas su être convaincant dans la justification et la légitimation de ses ambitions. En parallèle, les partisans du #KEEP490 n’ont pas eu à forcer leur argumentaire à la vue du piètre niveau des revendications auxquelles ils ont été confrontés.

 

L’opposition vide de substance entre les #STOP490 et #KEEP490 a littéralement étouffé toute tentative d’approche pragmatique de la question, excluant de fait l’éventualité d’une troisième issue à cette bataille d’idées : l’amendement de l’article. Et si le #EDIT490 était en fait la solution appropriée ? Une modification de la disposition juridique insistant sur [1] le traitement indifférencié des genres ; [2] le recueil objectif de preuve non plus fondé sur l’appréciation aléatoire de l’agent de police ; [3] la mise en place d’une troisième catégorie, distinguée de la prostitution et de l’adultère et compatible à la fois pour les Femmes et les hommes ; [4] l’explicitation de ce qui est attentatoire ou non au Droit à la vie privée lorsque l’officier de police exerce sa mission et déterminer clairement ses limites, ceci en vue de la protection du Droit à la vie privée, Droit constitutionnel garanti à tous les individus. Il peut paraitre évident qu’une simple phrase est insuffisante pour préciser la complexité de l’article 490. Mustapha Ramid indiquait en décembre 2019 que « l’Etat n’a pas le droit de s’introduire par effraction dans l’espace privé, d’espionner et d’enfoncer les portes des adultes pour transgresser leur intimité[30] ». Une affirmation qui pourrait s’articuler habilement par le biais de l’amendement de l’article 490. C’est en tout cas cette option qui semble la plus opportune.

 

L’abrogation de l’article 490 du Code pénal ne sera jamais permise au Maroc. Ces revendications relèvent de l’utopie. Le Roi du Maroc est en partie porté par une légitimé religieuse, l’Islam n’est certainement pas qu’un accessoire dans l’exercice du pouvoir. Quelle serait l’attitude du peuple Marocain à l’annonce de la dépénalisation, par le Commandeur des Croyants, des relations sexuelles hors mariage ? Quelle serait la réaction des peuples voisins qui, depuis plusieurs siècles, sont liés au référentiel musulman entériné dans la royauté Marocaine ? Si la référence de l’Islam à l’échelle régionale se soustrait de sa légitimité religieuse, quelles en seraient les conséquences stratégiques tant pour le Maroc que pour les États voisins dont les peuples sont pour la majorité musulmans ? L’abrogation réclamée s’inscrit dans une dynamique strictement individuelle, excluant de facto toute approche collective qu’elle soit nationale ou internationale. Ces revendications relèguent l’intérêt collectif au second plan au profit d’intérêts individuels marginaux. Une perception finalement égoïste notamment portée par le Collectif Moroccan Outlaws 490.

Mot De Fin.

Le Collectif Moroccan Outlaws gagnerait à être plus inclusif. Il gagnerait également à être davantage en phase avec la réalité Marocaine qu’il s’efforce de ne pas voir ou de mal comprendre. De même, penser que la solution n’existe qu’à travers la bénédiction de l’Occident est une maladresse. Cette brèche ouverte sur l’extérieur favorise également l’ingérence étrangère en matière d’idéologie indésirable. Les Marocains de tous bords accorderaient davantage de crédit à une initiative à forte emprunte Marocaine. Le Salut de la société Marocaine ne passera que par le peuple Marocain et les idées qui lui sont propres. L’inspiration est certes une opportunité ; la transposition de systèmes étrangers est en revanche une tare.

Si l’on s’inscrit dans la dynamique de l’opposition des #STOP490 et #KEEP490, la réflexion autour du #EDIT490 serait bien plus pertinente et constructive. Si l’on s’inscrit plus largement dans une dynamique visant les Marocains dans leur globalité, des hashtags en Darija ou Amazigh auraient sans doute été préférables. Ce n’est pas l’Europe qu’il faut sensibiliser : ce sont bien les Marocains.

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Références :

[1] Article 483 du Code pénal : Quiconque, par son état de nudité volontaire ou par l'obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l'emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 120 à 500 dirhams.

[2] Vidéo en date de 2015, récemment diffusée sur la toile

[3] Information précisée par Mme Ghizlane Mamouni, avocate au barreau de Paris et membre du Collectif 490. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/02/03/au-maroc-une-affaire-de-revenge-porn-relance-le-debat-sur-la-liberte-sexuelle_6068672_3212.html

[4] « Sont punies de l'emprisonnement d'un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n'étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles ».

[5] https://www.instagram.com/p/CK0hh_KlKi4/

[6] « Est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams, quiconque procède, sciemment et par tout moyen, y compris les systèmes informatiques, à l’interception, à l’enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de paroles ou d’informations émises dans un cadre privé ou confidentiel, sans le consentement de leurs auteurs. Est passible de la même peine, quiconque procède, sciemment et par tout moyen, à la capture, à l’enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de la photographie d’une personne se trouvant dans un lieu privé, sans son consentement ».

[7] https://www.medias24.com/affaire-de-la-video-sexuelle-a-tetouan-une-procedure-d-appel-bientot-lancee-15887.html

[8] Somme des abonnés sur les réseaux sociaux InstaGram et FaceBook

[9] Karima Nadir : « Pour changer les mentalités, il faut changer les lois », 5 févr. 2021 https://www.youtube.com/watch?v=dD9XUOLVqVY

[10] Constitution Marocaine https://mjp.univ-perp.fr/constit/ma2011.htm

[11] La Nation Marocaine s’attachant à une approche dite « modérée » de l’Islam, Art.1 de la Constitution

[12] 1913 traduit l’entrée en vigueur du Code pénal. Cette date coïncide avec le début du protectorat.

[13] Ce que Ibn Khaldun qualifiait plus largement de Asabiyya, qu’il relevait déjà sous l’Ère Almoravide.

[14] htps://www.instagram.com/stories/highlights/18090315529101276/

[15] Un tel pourcentage peut paraître quelque peu surestimé https://www.medias24.com/francophonie-francais-maroc-marocains-942.html

[16] Liberté sexuelle au Maroc, revendication d'une «minorité» de Marocains pour Rachid Hachachi https://www.youtube.com/watch?v=BD4C3Zm8xd4&list=ULxRVLcpFPUmI&index=12861

[17] L’avortement serait légale s’il résulte d’un viol, s’il résulte d’une relation adultère, en cas d’aliénation mentale et si un foetus est atteint d’une malformation génétique impossible à traiter au moment du diagnostic. L’opération devra être supervisée par un  corps médical compétent, et effectuée avant les 90 jours de grossesse.

[18] https://www.instagram.com/p/B7ReGvSFEAJ/?utm_source=ig_embed

[19] "Réflexions sur le débat des libertés individuelles" Par: Dr. Aissam Bachir https://www.youtube.com/watch?v=gJpo5-41il0&feature=share

[20] Simone Veil : son discours historique en faveur de l’IVG, 26 novembre 1974 https://www.youtube.com/watch?v=cTAmCUgoSZ4

[21] Article 493 du Code pénal : La preuve des infractions réprimées par les articles 490 et 491 s'établit soit par procès-verbal de constat de flagrant délit dressé par un officier de police judiciaire, soit par l'aveu relaté dans des lettres ou documents émanés du prévenu ou par l'aveu judiciaire.

[22] Mériam Cheikh, « De l’ordre moral à l’ordre social. L’application des lois pénalisant la sexualité prémaritale selon des lignes de classe  », L’Année du Maghreb, 17 | 2017, 49-67.

[23] [25] [28] Ibid

[24] Ibid, « catégorie qu’ils définissent non pas en termes de pratiques sexuelles mais d’abord en termes d’appartenance sociale »

[26] Au sens de l’article 490 du Code pénal

[27] Mériam Cheikh

[29] https://www.medias24.com/video-intime-a-tetouan-campagne-de-soutien-et-appels-a-l-abrogation-de-l-article-490-16311.html

[30] https://fr.le360.ma/politique/mustapha-ramid-la-loi-ne-sanctionne-pas-les-relations-sexuelles-consenties-dans-lespace-prive-203732